IA et Économie Sociale et Solidaire : reprendre la main sans renier nos valeurs

flyer de la soirée débat : Ia et ESS

Le 21 novembre 2025, j’ai été invité à contribuer à un débat essentiel pour l’avenir de l’ESS, tant les enjeux numériques touchent désormais au cœur même de ses missions. J’ai été invité à Lézard Ty’Co, dans ce tiers-lieu chaleureux posé au bord du Trieux, pour animer un débat sur l’Intelligence Artificielle et l’Économie Sociale et Solidaire. Dès les premières minutes, j’ai senti cette tension si particulière : le mélange d’inquiétude, de curiosité et d’envie d’agir. Une dizaine de personnes, responsables associatifs, citoyens, entrepreneurs, tous venus pour comprendre comment apprivoiser une technologie qui avance plus vite que la capacité collective à la nommer.

Je me suis retrouvé là, devant eux, avec une conviction simple : l’ESS peut s’approprier l’IA (voir aussi mes articles dédiés) sans trahir son âme. Encore faut-il remettre un peu d’humanité dans tout cela, et peut-être un peu d’humour aussi, parce que face aux GAFAM, mieux vaut garder le sourire.

 

 

Clarifier ce que l’on appelle « IA » avant d’en débattre

Avant même d’ouvrir les échanges, j’ai posé un cadre : de quoi parle-t-on vraiment ?
Entre les mythes hollywoodiens et les discours marketing, on perd souvent la réalité technique : l’IA générative n’est pas intelligente. Elle n’a ni conscience ni intention propre : c’est simplement un outil statistique qui calcule les suites de mots les plus probables. : elle prédit, comme un joueur de Scrabble sous amphétamines.

Cette mise au point a permis d’apaiser le débat. On ne parlait plus d’un robot qui nous volerait notre humanité, mais d’un outil puissant, fascinant, imparfait et parfois franchement à côté de la plaque. Cette prise de recul a aussi ouvert la voie à une discussion plus lucide : que peut réellement l’IA aujourd’hui, et quels sont les usages qui ont du sens pour l’ESS ?


Quand les valeurs de l’ESS se cognent aux modèles de l’IA commerciale

Le cœur du débat a très vite émergé : les valeurs de l’ESS sont-elles compatibles avec des technologies conçues par des géants commerciaux ?

L’ESS : un mouvement centré sur l’humain

Dans l’ESS, on parle :

  • de gouvernance démocratique,

  • d’utilité sociale,

  • d’inclusion,

  • de sobriété,

  • d’ancrage territorial.

Autant de mots qui n’apparaissent pas souvent dans les rapports annuels de Microsoft ou de Google. L’ESS repose sur une logique d’impact, de coopération et de transparence, là où l’IA commerciale avance selon des logiques de marché, de rapidité et de captation.

L’IA générative, une technologie très orientée… business

Les modèles dominants reposent sur :

  • la captation massive de données,

  • des infrastructures énergivores,

  • des modèles économiques addictifs (le gratuit qui rend dépendant),

  • une gouvernance opaque (voir aussi les enjeux de régulation : Banque des Territoires).

Résultat : un choc culturel.
Et pourtant, ce n’est pas parce qu’un outil n’est pas né dans l’ESS qu’il ne peut pas être réapproprié. L’enjeu consiste plutôt à déterminer comment l’utiliser avec discernement, en respectant les valeurs fondamentales du secteur.


Quand l’IA devient un levier d’inclusion et d’efficacité

L’IA pour libérer du temps

Certaines tâches chronophages peuvent être automatisées : comptes-rendus (exemples sur mes actus), mails institutionnels, tri des données, supports visuels. Une secrétaire de mairie rurale me confiait :

« Avant, créer une simple affiche me prenait 45 minutes. Avec l’IA, 2 minutes. Pour une fois, je rentre chez moi à l’heure. »

Ce témoignage n’est pas anodin. Dans de nombreuses petites structures, l’administration occupe une place énorme, parfois disproportionnée par rapport au cœur du projet social. L’IA peut redonner de l’air, du temps, et même un peu d’enthousiasme.

Inclusion : redonner du pouvoir d’expression

Pour un entrepreneur dyslexique ou une association débordée (accompagnement : mes services), l’IA peut structurer, clarifier, organiser. Ce n’est pas du remplacement : c’est de l’assistance. Elle joue un rôle de soutien invisible, rendant accessibles des tâches qui, autrement, demanderaient des compétences spécifiques ou du temps disponible que les équipes n’ont pas.


Les zones d’ombre : ce que l’ESS ne peut pas ignorer

Impact écologique

Serveurs énergivores — certains centres de données consomment autant d’électricité qu’une petite ville — (un sujet que j’explore aussi ici : analyse terrain), consommation d’eau, matériel électronique… La question est inévitable : comment concilier sobriété numérique et IA ? L’ESS, déjà engagée dans des démarches de transition écologique, ne peut ignorer l’impact environnemental des outils qu’elle utilise.

Biais et discriminations

L’IA reproduit les stéréotypes présents dans les données : représentations inexactes, biais raciaux, sexistes, sociaux. Ces biais ne sont jamais anecdotiques : ils influencent la manière dont les outils catégorisent, priorisent ou recommandent. Pour des structures engagées dans l’égalité, le sujet est central.

Travail invisible

Derrière la magie technologique, des milliers de travailleurs précaires nettoient les données. Un vrai sujet éthique qui interroge directement les valeurs de justice sociale portées par l’ESS.

Propriété intellectuelle

Les IA récupèrent des œuvres sans consentement ni rémunération. Malaise collectif. Le sujet interroge la place des créateurs, des artistes, des journalistes, tous au cœur du tissu social.

Protection des données et souveraineté

Un point de vigilance essentiel : savoir où partent les données lorsque l’on utilise des outils d’IA. Pour les structures de l’ESS, l’enjeu est double : protéger les informations sensibles et éviter une dépendance à des plateformes hors UE. La CNIL recommande une approche prudente, fondée sur des outils compatibles RGPD et des usages maîtrisés. Cette vigilance participe à la souveraineté numérique des territoires.

 

 

logo tiers lieu Lezard Ty'Co à Lézardrieux

Le débat : compétences, éducation, pollution informationnelle

La métaphore de l’escalator

« Si on prend toujours l’escalator, on perd l’habitude de monter les escaliers. »

Avec l’IA, même logique : assistance oui, dépendance non. L’objectif est de créer un rapport sain, lucide, équilibré avec l’outil.

Enfants et éducation

Entre prudence et adaptation au monde de demain, le débat reste délicat. Les enfants baignent déjà dans un environnement numérique : les priver totalement serait contre-productif, les laisser sans cadre serait irresponsable. Trouver la bonne mesure est un défi éducatif majeur.

Pollution informationnelle

Internet se remplit de contenus générés par l’IA… qui entraînent ensuite les IA. Une boucle d’auto‑empoisonnement. Cette perte de qualité de l’information questionne notre capacité collective à maintenir un espace numérique fiable.

 

Comment l’ESS peut reprendre le contrôle

1. Se former

Maîtriser les prompts, comprendre les limites, connaître les risques. La formation devient un enjeu central : elle permet de réduire la dépendance et d’accroître l’autonomie. Par exemple, certains tiers‑lieux organisent déjà des ateliers pratiques d’initiation à l’IA ou des sessions de sensibilisation au numérique responsable, accessibles même aux débutants.

2. Favoriser l’open source

Modèles plus sobres, transparents et souverains. L’open source permet aussi d’imaginer des gouvernances collectives et locales.

3. Écrire des chartes locales d’usage

Ne pas attendre la réglementation : commencer dans les associations, tiers-lieux et communes. Les chartes donnent un cadre clair, cohérent et évolutif.

 

Reprendre la main, ensemble

Au fond, tout ce débat à Lézard Ty’Co m’a rappelé une chose simple : l’IA n’est ni un miracle ni un monstre. C’est un outil, et comme tout outil, il reflète surtout la manière dont on choisit de s’en servir. Dans l’ESS, on a l’habitude de faire beaucoup avec peu, de transformer des contraintes en créativité, et de remettre l’humain au centre, toujours. Alors pourquoi en serait‑il autrement avec l’IA ?

Si nous voulons qu’elle renforce nos missions plutôt qu’elle ne les dévoie, il nous appartient de définir nos règles, nos limites, nos ambitions. De tester, d’explorer, de se tromper parfois, mais toujours en conscience. L’important n’est pas d’aller vite : c’est d’aller juste.

Et si vous souhaitez prolonger cette réflexion ou accompagner votre structure dans cette transition, n’hésitez pas à me contacter. Après tout, les meilleurs futurs sont ceux que l’on construit ensemble.

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